Malard (Suzanne): Dédicace à l'antenne
Dédicace à l'antenne
Renouvelant les anciens fastes de Venise
Où le doge épousait la mer,
La lyre, où tout l'essor du siècle s'éternise,
Doit se fiancer avec l'air.
Le tremplin que ta verve exaltait, ô Banville,
Ce tremplin de cirque vaut-il
L'antenne qui déroule au-dessus de la ville
L'écheveau sombre de son fil?
Ton clown qui s'en allait rouler dans les étoiles
Rebondit-il mieux que la voix
Qui perce les plafonds, et non plus ceux de toiles,
Mais aussi les murs et les toits?
Dans l'élasticité que l'espace lui prête
Mon raide immobile s'est plu...
C'est ainsi que se sont, dans le coeur du poète,
Conciliés deux absolus.
Car son rêve, à la fois gyrovague et stylite,
Qui s'était cloîtré dans sa tour,
Peut, sans quitter la cime où l'esprit pur habite,
Du monde entier, boucler le tour.
... O vous qui, de ma voix unique, en faites mille,
O Nourrice d'ubiquité:
Antenne, j'inaugure ici la difficile
Aventure de vous chanter.
Mais saurai-je exprimer les sentiments étranges
Qui m'envahissent à vous voir,
Seule entre ciel et terre, au baisert blanc des anges,
Tendre en chantant vos cheveux noirs?
Dernier quatrain du poème "Orage"
Ondes, telles qu'Orphée, avec des rythmes clairs,
Enchaînant le vacarme et les bêtes féroces,
Charmez les éléments, ô Prêtresses des noces,
Des chastes noces de la voix avec l'éther.
Début de "La voix irradiée"
(où l'auteure traduit les résonnances intérieures et presque mystiques de sa propre voix à l'antenne dans le moment de son amplification et de sa diffusion radiophonique.)
Je ne l'entends pas croître et se multiplier,
La voix frêle que - hors de ma poitrine frêle -
J'arrache pour l'offrir au monde hospitalier.
Vers le toit - est-il un ou mille? - qui la hèle,
Je ne sais pas comment l'écho multiple court
Qui déjà n'est plus moi quoiqu'il soit encore elle.
Ma voix quotidienne et, veuve de contour,
D'unique devenue innombrable j'écoute
Mes dents sans force en remâcher le timbre sourd.
Radiophonies, 1931