Michele Laporte

Michele Laporte

Montpensier (Recueil de Mlle de): Portrait de la voix d'Iris, 1659

Portrait de la voix d'Iris

Recueil de portraits de 

Mlle Montpensier

 

Pièce restée anonyme

1659

 

  " Lorsque j'ai fait votre portrait, je n'ai pas eu dessein d'y représenter tout ce qui est d'aimable en vous; cette pensée aurait été trop téméraire, et c'était bien assez que j'entreprisse une chose qui était au-dessus de mes forces, sans que je m'engageasse encore à faire l'impossible. Vous vous plaignez, mademoiselle, de ce que je n'ai rien dit de votre voix, comme si effectivement il ne manquait rien que cela à votre portrait, et qu'elle fut la seule de vos perfections que j'eusse oubliée. Cependant je veux bien vous avertir que vous en avez cent autres que j'estime infiniment davantage, et que j'eusse louées, avant que d'en venir à votre voix, bien qu'elle soit une des plus belles et des plus charmantes du monde... Avec tout cela, Mademoiselle, j'avoue ingénuement,  qu'après avoir été si souvent charmé par votre belle voix, j'ai tort de l'avoir oubliée; ce m'est une ingratitude horrible, et je lui en demande pardon. Aussi pour réparer entièrement ma faute, voici son portrait que je vous envoie; il est en grand et n'est fait que pour elle seule." 

 

 Portrait de la voix d'Iris

 

Je chante les beautés d'une voix sans pareille,

Pour qui mon coeur est enflammé;

D'une voix qui m'ayant charmé,

M'a ravi l'âme par l'oreille.

Doctes filles de Jupiter

Qui faites gloire de chanter,

 

Il faut ici faire merveille,

Rien ne peut mieux le mériter.

Mais vous ne dites mot? vous m'abandonnez, Muses?

Je connais votre esprit jaloux,

Vous seriez sans doute confuses

De louer une voix qui chante mieux que vous.

 

 

Vous savez cependant, ingrates que vous êtes,

Combien avec son air charmant

Elle sait donner d'agrément

Aux belles chansons que vous faites,

Muses vous le savez, et vous êtes muettes?

Mais quoi, j'ai tort de m'emporter,

Allez, vous ne sauriez mieux faire.

Quand on a de la voix, et qu'on en fait mystère,

Après l'avoir ouï chanter,

On fait sagement de se taire.

 

Ne croyez pas pourtant qu'il demeure imparfait

Cet aimable et charmant portrait,

Bien que vous me quittiez, bien que la voix me tremble,

Et que je craigne assez de n'y réussir pas;

Car enfin j'y mettrai tant de beautés ensemble,

Tant de douceurs et tant d'appas,

Qu'il faudra bien qu'il lui ressemble.

 

Ainsi qu'Iris sa voix est belle,

Elle touche d'abord, elle charme comme elle,

Par ces doux agréments qu'on découvre à la fois;

Elle est petite, et toutefois

L'on ne connaît que trop par la noble assurance

Dont elle se soutient et passe une cadence,

Qu'il n'est point dans le monde un plus beau port de voix.

 

Elle joint l'Art à la nature,

Et dedans tous ses mouvements

Qu'elle règle selon les temps,

On lui voit observer une exacte mesure.

Elle sait quand il faut s'élever, s'adoucir,

Se taire un peu, faire un soupir,

Quand il est à propos qu'elle soit sérieuse,

Ou quand de cent fredons elle peut se jouer.

Enfin quoiqu'elle soit tout à fait amoureuse,

On ne saurait assez louer

Sa conduite judicieuse.

 

 

Aussi qui n'aimerait  son extrême douceur,

Et cette amoureuse langueur

Tendre et passionnée

Dont elle plaint la destinée

Des amants qu'Iris traite avec trop de rigueur?

On l'entend sans cesse lui dire

Qu'elle ait pitié de leur martyre,

Qu'elle soulage leur douleur;

Pour eux elle gémit, pour eux elle soupire,

Et même quelquefois il semble qu'elle expire,

Afin de lui toucher le coeur.

 

Ni de deux rossignols l'un de l'autre jaloux,

Le concert agréable et doux,

Ni d'un cygne mourant la musique plaintive,

Ni le murmure d'une eau vive

Qui roule en gazouillant sur de petits cailloux,

N'ont point cette douceur naïve.

L'oreille n'entend rien de si délicieux;

Mais telle est seulement la douceur infinie

Des airs qu'Apollon (...te) à la table des Dieux,

Ou l'inconcevable harmonie

Du juste mouvement des Cieux.

 

Sur le moite gazon d'un grand demi rond d'eau

Où cent claires fontaines,

D'un palais enchanté l'ornement le plus beau,

Viennent se reposer et terminer leurs peines,

Iris était assise, et sa charmante voix

Faisait chanter l'Echo dedans le fond du bois.

L'Echo toute superbe et fière

De s'entendre chanter de la belle manière,

Et mieux que les bergers dont elle avait appris,

Semblait lui disputer le prix,

Et chantait touours la dernière.

 

Lorsque la voix d'Iris poussait quelque chanson

Avec une douceur extrême,

L'Echo tout aussitôt la répétait de même,

Et charmait à son tour de la même façon.

La victoire fut incertaine;

Mais ce fut la première fois

Qu'Iris ouït une autre voix

Chanter aussi bien que la sienne.

 

Cependant les Nymphes des eaux

Retenant par respect leurs ondes fugitives,

Dans un profond silence écoutaient attentives,

Et regardaient Iris au travers des roseaux.

D'entre elles la plus respectée,

De l'excès du plaisir vivement transportée,

S'élança tout à coup dehors,

Afin de mieux ouïr de si charmants accords,

Et parut quelque temps dessus l'onde agitér

Jusques à la moitié du corps.

 

A la voix qui chantait par son heureux rivage

La Nymphe sembla rendre hommage;

Puis elle se plongea pour aller à la mer

Lui dire que jamais ses fameuses Sirènes

Que leur voix a rendu si vaines,

N'ont si bien su l'art de charmer.

 

 

 

P. 779



29/10/2012
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